Suicide professionnel





Ce soir j’ai vomi ma bile sur le papier. Un mélange de douce hystérie salvatrice et de peur au ventre, car je pars sans filet.

Hier, Fishturn s’est suicidé.

Hier Fish m’a appelée. Il m’a fait rire à m’en claquer les synapses. J’ai tellement ri.

Et puis aussi, Il a écrit : « Je déchire l’espace avec ma bouche. »

« Je déchire l’espace avec ma bouche. »

Moi, j’ai la bouche qui cherche l’espace. Alors ce matin j’ai pris le bus, comme tous les matins. Pas de place pour la poésie, pas de synapses qui s’entrechoquent. Je suis passée à la boulangerie. Un croissant. Pour me remplir avant le combat, tasser les arrogantes frustrations bien au fond.

Je suis arrivée au bureau.

Sas de compression. Mon monde empli de couleurs, de folies, de rage de vivre meurt ici un peu plus chaque jour, à la porte de cet ascenseur. J’ai éteint mon lecteur MP3. Un air de ukulélé dans la tête. Sas.
J’ai dit : « Bonjour, ça va ? Et toi, ça va ? ». Comme tous les matins, j’ai claqué mes lèvres rouge vif sur les joues, amusée que certains se laissent encore prendre au jeu du baiser indélébile, et les voir s’agiter souriant-ronchonnant.

Mécanique humaine. Mule moderne.
J’ai accroché ma veste derrière la porte et je me suis assise. J’ai levé la tête face à l’écran bleu froid. Feuilles de calcul, rapports d’expédition, reporting, tableaux de bord. Et soudain, comme tous les jours, cette pensée furtive mais tenace : prendre ses affaires et se mettre à courir, au dehors, et rire, rire, et rire encore, ne pas se retourner, ne jamais revenir.

Je cherche l’espace avec ma bouche, happer l’air qui m’étouffe.

Ce matin, la carte son ne fonctionnait pas. C’est sûrement pour ça tout ça. Oui, c’est sûrement ça. Ce silence…

Alors. Un clac dans le cortex. Plus vif et incisif que les précédents.
Cette contraction venue du ventre, comme pour m'avertir que le temps d’accoucher de soi est enfin venu.

Alors, j’ai réorganisé les icônes sur mon bureau. J’ai supprimé toutes les photos de moi sur le réseau. J’ai ouvert Word, la main malhabile, fébrile. Le souffle court. Et j’ai écrit :

« Paris, le 21 janvier 2008 … Remise en main propre …Madame …Je vous informe par la présente que je démissionne du poste que j’occupe dans votre entreprise …».

Chirurgical. Sans anesthésie. Amputation d’urgence, patient gangrené, risque d’infection généralisée.

J’ai pris la lettre, je l’ai soigneusement pliée en trois, j’ai lissé la brisure de la feuille avec la paume. Doucement. Un gros bouillon de sang dans la tête. Les autres humains sont là dans mon espace, à le déchirer par leur présence. Je les regarde, un étrange sépia se dessine au ralenti. Interférence.

J’ai glissé la feuille dans l’enveloppe. Je me suis levée, les cuisses déjà chaudes et moites de la course qui m’attendait. Les mots sont sortis, simples, volubiles, maîtrisés. Une longue autodictée récitée chez moi le soir en rentrant de la classe des grands.

Je leur ai dit : « Ici, je meurs un plus chaque jour, je pars, c’est une question de survie ». Mes larmes ont roulé, les leurs aussi. Mais les miennes avaient le goût sucré de la liberté.

Folle, inconsciente, kamikaze, funambule, terroriste d’entreprise.
On appelle ça un clash, un hiatus, un coup de folie, un coup de vie. Une chance.

Aujourd’hui je me suis prise en hold up. Il n’y a pas eu de blessé, personne ne cherchera à me rattraper. Et je m’emmène loin, sans regret, sans arme pointée, seule vers mon point cardinal.

Je sors d’un coma qui aura duré trois années. Et je respire le sang à nouveau affluer.

Comments

20 Responses to "Suicide professionnel"

Le stress : une maladie de civilisation a dit… 22 janvier 2008 à 12:07

Bon, je coupe le son de l'ordi parce que ton fichier mp3 "industrieux" il me rend tout scie sauteuse.

Etant moi-même un adepte de la fuite, du suicide social, de la course en avant, je trouve ce texte très beau, très senti, très juste, sans gras. Parfaitement maîtrisé.

Même si je connais le plaisir à ressentir la caresse froide de la liberté sur les joues, même si je sais combien il est doux de sentir l'envie dans le regard des autres d'avoir osé sauter du train en marche, il vaut mieux bien préparer son coup. C'est l'expérience d'un quarantenaire qui n'a pas dû travailler plus de 5 petites années dans des entreprises (et sans jamais rester trop longtemps dans chacune) qui parle !

L'aventure ne supporte aucun à peu près, ou alors il se paie très cher...

En attendant, je trouve ce choix bien courageux et enthousiasmant !

Tu as du talent miss Maggy. Je ne sais pas bien de quelle manière tu comptes l'utiliser, mais sûrement très bien !!

Le tableau est très puissant, je vois que tu as conservé la même harmonie de couleurs que le poulet doré au four : good choice !

Katy- a dit… 22 janvier 2008 à 15:40

Délivrance...

A nous les rires !

LudoFJ a dit… 22 janvier 2008 à 15:56

aussi bon à lire qu'à vivre, j'imagine...

well done.

:)

balbc a dit… 22 janvier 2008 à 16:57

Magwann redevient Magwann.

:)

magwann a dit… 23 janvier 2008 à 12:12

> Merlin, ton message m'a vraiment touchée. Je crois qu'il faut savoir prendre des décisions tranchées. Je suis une fonceuse, et je n'ai jamais eu peur de me mettre en danger. Je sais rebondir.Il faut dire aussi que je ne place personne en péril, je n'ai pas d'enfant à charge, ni de conjoint. Simplement mettre un terme à un cycle pour entrer dans une autre dynamique. Et puis, lorsque je dis sans filet, sache que c'est une décision réfléchie de longue date, je me suis assurée financièrement. Il me manquait le déclic pour réellement franchir le pas.
Le plus dur reste à venir, pour enfin parvenir à m'épanouir dans un job. Et si je me plante, au moins je n'aurais pas de regret.
Ce n'est pas une fuite en avant, c'est au contraire faire face à mes désirs les plus profonds, être en accord avec ce que je suis et ce que je peux offrir.
Et j'ai une patate!!^^

>Katy: oh oui ma grenouille,je vais être pire que jamais!^^

> Ludo: tu sais, c'est un moment particulier à vivre, mêlé de stress et d'excitation. Ce n'est pas évident non plus car j'ai lié des amitiés très fortes dans ma boite et aussi avec mon boss qui m'a toujours soutenue et qui comprend pleinement mon envie. Il m'a même proposé de reporter ma démission et d'attendre tranquillement que je trouve un autre job, de me coacher et de me filer des contacts. J'ai toujours été sincère avec lui vis-à-vis de mes attentes, et j'espère que je retrouverai cette bienfaisance dans un nouveau job.

>Valentine: voilà, tout est dit. On peut penser que je suis folle à lier, impulsive: je suis juste vivante, à l'écoute de ma vie. Je mûris longuement les choses et lorsque je suis décidée, je fonce.Bises ma poulette.

Anonyme a dit… 23 janvier 2008 à 12:42

Magwann returns !!

Juste pour dire que je sais ce que c'est. je suis de tout coeur avec toi.

Fonçe, fonçe, fonçe....

Anonyme a dit… 23 janvier 2008 à 14:29

>Ben: hey l'ami! Te revoilà!Merci pour tes encouragements! Je vois que tu es un tout jeune blogeur,alors bienvenu dans ce meltingpot!

Le stress : une maladie de civilisation a dit… 23 janvier 2008 à 14:31

Bon, je viens de commencer un message : a disparu ! Je recommence.

Tes petites précisions Magwann me font bien plaisir. c'est très important d'être prêt à changer.

Ton (ex)patron est en or fin. Pas idiot cette idée de coaching ! La proposition n'est pas idiote et mérité d'être prise en compte...

As-tu déjà une idée précise de ce que tu veux faire ? Après tout, on ne sait jamais, si la blogosphère peut aider à avancer, il ne faut pas hésiter à en profiter...

boronali a dit… 23 janvier 2008 à 22:21

ah merde, pardon, je v'nais juste te dire que le poulet était prêt et que j'avais servi ...

(Euh sinon, j'peux t'appeler un peu "soeurette", ça m'rendrait fier ?)

Anonyme a dit… 23 janvier 2008 à 22:41

>Merlin tirlipinpon: why not la blogo, à voir^^ Et pour la fin de l'histoire, j'ai confirmé ma démission, je fonce!

>Boro: haaa!!!!! Kréma! tu sais quelle a été ma réaction en me mettant à table? Un bon petit fou rire! Parce que oui tu t'es bien bien laché et ça fait plaize et parce que ton poulet a une tronche de grosse saucisse de bande dessinée! Tu sais, les bons gros cuissos de sanglier à la Obélix!Et puis il y a aussi un petit nid de paille-frites dessous. Alors je vais intituler ton oeuvre "Saucisse au coulis d'Obélix sur son nid de poulet!"
Et puis il y a deux choses qui m'intriguent: je crois voir une pomme derrière mais à côté, c'est une savonnette blanche ou bien? Et aussi en haut à droite, le lâché de craies multicolores, comme autant de plumes, ça me perturbe et ç'est ce que j'aime! Je fais une fixette dessus: pourquoi ce paquet de plumes, pourquoi ce paquet de plumes, pourquoi ce paquet de plumes...^^

Adjugé pour le soeurette, la maladie mentale, c'est familiale!


Pour ceux qui comprennent rien au chmilblick, et à raison:

http://picasaweb.google.com/emilio.boronali/Projet365Jours/photo#5158756994049164434

Anonyme a dit… 23 janvier 2008 à 23:04

"c'est familial" sans e, c'est pas plus mal.. La fatigue mon pauv'Monsieur, la fatigue...

boronali a dit… 24 janvier 2008 à 10:38

le petit tas en haut, c'est que je testai les pastels antédiluviens dont je ne reconnaissais pas les couleurs. Les frites, c'est le choux et derrière y'a une tranche de mortadelle et une grosse pomme de terre ... Une choucroute quoi !

Le stress : une maladie de civilisation a dit… 24 janvier 2008 à 12:00

Moi, j'aime bien quand ça discute de patates et de poulet aux hormones. Allez-y, allez-y, faites comme si j'étais pas là.

Nina louVe a dit… 24 janvier 2008 à 16:20

Miss Dame, vous m'épatez ! Dans toute l'essence du texte , dans tous les sens du geste posé : partir, quitter, cesser, oser.
En repliant cette missive dans ta paume, tu y as sculpté une nouvelle ligne de vie. Le courage se veut le plus joli galbe de l'âme... Glisser, remonter.

:: Karine :: a dit… 24 janvier 2008 à 22:20

bon qu'est-ce que je vais écrire, moi, après tout ça ?!

tous ces encouragements et ces drôleries ?!

mais je voulais être là avec toi et te le dire aussi : je trouve ta décision courageuse certes mais surtout tellement en accord avec toi-même ! tu as tellement raison d'être fidèle à tes rêves.

texte magnifique, vraiment bien raconté !

Melo a dit… 26 janvier 2008 à 17:04

Bravo pour cet instant
de survie.J'admire.

Caillou a dit… 27 janvier 2008 à 07:56

La haute tension, sentir la vie concentrée, ici et maintenant, en soi. Le grand frisson, celui qui parcourt l'échine, qui traverse le corps et libère la tête, d'un seul coup. Dans mille ans, tu te souviendras encore de cet instant où tu as tué le salaud (l'adulte qui justifie son existence par son importance sociale, son esprit de sérieux et sa mauvaise foi)qui menaçait ton existence...;-)

Anonyme a dit… 30 janvier 2008 à 10:36

Je n'ai jamais regretté ce que j'ai fait sur un coup de tête, ce qui n'est pas le cas pour ce que j 'avais mûrement réfléchi, aussi je te dis bravo ! Ce n'est pas un suicide mais une renaissance...

Anonyme a dit… 30 janvier 2008 à 19:53

>Boro:ha oui, maintenant que tu le dis,ça ressemble plus à une choucroute qu'à un poulet frites! C'est malin, j'ai faim maintenant!

>Merlin: ok!Mais alors pas de toussotement hein!?;-)

>Ma Nina: "sculpter une nouvelle ligne de vie": oh oui, j'y compte bien, en enspérant qu'elle ne sera pas entrecoupée!

>Karine: merci chère Karine, c'est encore plus de courage qu'il va me falloir pour aller taper aux portes!:-)

>Melo: tu écris rarement chez moi, alors ces simples mots que tu as laissés ont d'autant plus d'echo. Amitiés.

>Caillou. Bon, c'est aussi difficile d'écrire chez toi que de te répondre chez moi. Je t'envoie les mots en pensée. Forte la pensée.

>Malvina: c'est exactement ça: une renaissance. Manque plus que le berceau ( le job) pour faire grandir le bébé!:-)

Anonyme a dit… 5 février 2008 à 08:59

waou Mag c'est magnifique ce texte! j'ai eu des frissons en te lisant, bravo vraiment pour les mots pour avoir osé le faire et refuser de rejoindre le club des morts vivants et des zombis d'entreprise ...bienvenue dans le monde des vivants! baisers -Aodai

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